Alberto Giacometti dans la mémoire d'André Breton

La Fondation Giacometti vient d’ouvrir à Paris l’Institut Giacometti, un lieu d’exposition et d’études consacré à l’œuvre de l’artiste ...

Atelier giacometti

L'atelier d'Alberto Giacometti y est reconstitué à l’identique, avec les objets et les véritables œuvres qu’il contenait.

Vingt-quatre mètres carrés, mezzanine comprise, belle hauteur sous plafond. C’est dans un modeste atelier d’artisan, avec pour voisin un cordonnier, au rez-de-chaussée d’une cour au 46, rue Hippolyte-Maindron, à Paris, dans le 14e, qu’Alberto Giacometti (1901-1966) a vécu et travaillé toute sa vie. Confort spartiate, pas de cuisine, toilettes dans la cour. Giacometti y emménage le 1er décembre 1926 ; son frère Diego l’y rejoint. L’hiver, ils doivent faire chauffer des baquets d’eau, tirée au robinet de la cour, pour se laver devant le poêle. L’un dort en haut, l’autre en bas, entre les sellettes, le chevalet et la table de travail encombrée de pinceaux, de stylets et de tubes de peintures, dans les odeurs de poussière, de plâtre mouillé et de torchons humides servant à recouvrir les pièces en cours.

Plus tard, Diego partira vivre ailleurs, dans une maison achetée par Alberto, qui lui servira de stock. Annette, sa femme, rencontrée en 1946 et épousée en 1949, s’installera dans l’atelier d’à côté, transformé en appartement au confort sommaire. Giacometti, lui, reste fidèle à son espace enserré entre quatre murs, avec verrière, comme une petite boîte d’allumettes posée à la verticale et ouverte sur le ciel.

Giacometti racontait volontiers comment il avait été exclu du groupe surréaliste dans les années 30. Par l’intermédiaire de Tanguy, Breton, qu’il n’avait pas vu depuis un moment, et précisément parce que ce nouveau souci de la tête humaine ne plaisait pas aux surréalistes l’avait invité à dîner, en compagnie de Péret. Repas dans un bistrot, au cours duquel Breton s’enquiert courtoisement du travail de Giacometti et lui fait exposer ses idées nouvelles. Puis proposition d’aller finir la soirée chez Georges Hugnet, qui habite à proximité. En arrivant chez celui-ci, Péret laisse passer Alberto, qui se retrouve en présence de tout le groupe et comprend le piège. D’ailleurs, Péret change immédiatement d’attitude à son égard, et l’accuse, commençant à rapporter la conversation du dîner. « Je ne me laisserai pas juger par vous », s’écrie Alberto qui s’en va.

Seuls cinq signataires du mouvement surréaliste figurent malgré tout au bas du document qui donne congé à Alberto Giacometti dans un épisode qui ressemble fort à un règlement de compte entre les deux protagonistes du marché aux puces. Giacometti pourra dire après-coup qu’il est parti de son plein gré : « J’ai dit : pas la peine. Je m’en vais. Et comme ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur un motif, il n’y a pas eu d’excommunication publique. Mais j’ai perdu tous mes amis, ainsi que l’attention des marchands ». Les échanges épistolaires de cette époque conservés par Breton et déposés à la bibliothèque littéraire Jacques Doucet sont à nouveau précieux pour avoir une idée plus juste de l’ambiguïté de la situation. Il semble manifeste que Giacometti ait alors épuisé les charmes de la recherche en groupe pour laquelle Breton s’efforçait de le retenir et qu’une période de repli et de travail solitaire ait été ressentie par lui comme une nécessité. Il paraît donc avoir tout fait pour provoquer une réaction qu’il redoutait néanmoins car elle le privait de ses amis et notamment de Breton. Il semble que la réaction de ce dernier ait été à la mesure des espoirs que nous l’avons vu fonder dans sa relation avec Giacometti. Il sait qu’il lui sera difficile de retrouver une sensibilité si proche de la sienne et qu’en excluant Giacometti il s’opère de ces mains qu’il avait cru pouvoir investir du modelage de ses visions et qui déjà peut-être avaient commencé à le dérouter au moment de L’Air de l’eau. C’est donc Breton, dans l’emportement de sa déception, qui transforme en rupture cette prise de distance alors que Giacometti, bien que capable de défendre avec obstination ses orientations nouvelles, se refuse à s’y résigner :
‘Mon cher André
je suis très triste si les discussions de l’autre soir entraînent une rupture entre nous. C’est la dernière chose à laquelle je m’attendais ; [Je trouve ? ] l’absence d’un plan humain entre toi et moi, dans laquelle les discussions se sont passées, atroces, c’était je pense à cause de moi. (Des questions soulevées chez Hugnet qui pourraient [avoir (barré)] trouver, je le sais, très vite, une solution, prenaient des proportions absurdes. Je m’exprimais très mal et tout était faussé).
Il y a beaucoup de questions qui se posent en ce moment pour moi, aucune contre toi et je n’ai rien a te cacher.
Ma position d’aujourd’hui envers toi est absolument autre qu’au moment de " Misère de la Poésie ". Je garde pour toi toute ma très grande amitié et admiration et je serai toujours prêt a te voir quand tu voudras. Très affectueusement. "
Alberto Giacometti

Une grande distance, donc, entre cette amertume devant une incompréhension mutuelle et la caricature qu’on en lit généralement. Il est vrai que Giacometti a contribué pour une grande part dans ses déclarations d’après-guerre à la surévaluation de cette rupture, alors que ses réflexions, la fécondité de ses nouvelles recherches et l’épreuve de la guerre auront rendu irrémédiable le divorce entre le surréalisme et lui. Ce n’en est pas moins lui qui insiste en 1935 pour maintenir un contact entre lui et le groupe :
‘Mon cher André,
Je demande a faire le dessin sur le bulletin, j’espère que tu l’accepteras encore.
La seule solution que je ne veux pas c’est la rupture.
Pardonne moi d’être resté si longtemps chez toi hier soir.
Très affectueusement a Jacqueline et a toi. "
Alberto G.

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